Un cours en ligne

Le contenu de ce blog est périssable.
Il s'agit de notes de cours, ou plutôt de schémas de cours, qui me servent pour traiter le programme de Lettres-philosophie devant mes classes de CPGE scientifiques, de première et de seconde année. Chaque année un nouveau thème, deux nouvelles oeuvres littéraires et une oeuvre philosophique.
J'en assume l'entière responsabilité, y compris lorsque s'y mêlent des jugements personnels sur des oeuvres et des auteurs, des conseils de lecture peu orthodoxes ou des pointes d'ironie. Le mot d'ordre que je m'efforce de suivre, lié à la lecture de Harry G. Frankfurt, est de ne pas mentir quand il est possible de baratiner, de ne pas baratiner quand ce n'est pas absolument nécessaire.

vendredi 19 décembre 2014

Quelques pistes de travail pour les vacances


Les vacances de l'été austral sont un temps pour les révisions mais aussi pour la recherche. Le thème de la guerre ne manque pas d'angles d'attaque ou bien de prolongements possibles. Je retiens quatre domaines de réflexion, volontairement éclectiques.
Il s'agit de l'héroïsme, du droit de la guerre, de la guerre des drones et du centenaire de 14-18.

Le premier thème a été au programme des CPGE scientifiques il y a une dizaine d'années. On trouve donc bien des choses intéressantes sur les œuvres qui étaient au programme, dont l'Iliade, et la manière de réfléchir la figure du héros.
Le second correspond à une question classique de philosophie, dont l'intérêt est moins théorique que pratique. Le droit de la guerre est certes l'objet d'affrontements théoriques. On peut s'opposer aux arguments des ouvrages savants qui ont tenté de dégager des principes de ce droit puis de montrer comment ils se déploient pour permettre de juger des armes, des stratégies, des actions de guerre. On peut aussi globalement approuver ces réflexions théoriques. Mais le plus important semble de passer de la théorie habituellement acceptée, faisant consensus, au réel. On rencontre très vite, du fait des lacunes des renseignements ou bien même de la complexité des situations une grande difficulté quant à l'application des principes au réel.
Le troisième permet d'évoquer les développements technologiques de la guerre contemporaine et d'ouvrir à des questions diverses comme la létalité, la lutte contre le terrorisme, les signature strikes ou bien encore la déterritorialisation de la guerre. Il est passionnant, qu'on l'aborde plutôt en militant de la cause de la guerre juste ou plutôt en défenseur d'un point de vue pragmatique sur la défense !
Le quatrième thème est proprement historique. Ce qui n'est pas un mal. On peut y questionner ce que certains appellent, souvent sans trop y réfléchir, « devoir de mémoire » et ce que d'autres appellent de leurs vœux, le besoin d'histoire.

A L'héroïsme

Sur le site Magister, on trouve un dossier consacré à l'héroïsme qui correspond à un programme de CPGE des années antérieures. Sa lecture peut être précieuse, en particulier la première page, présentant une belle citation de l'Esthétique de Hegel, et les pages consacrées à l'une des trois oeuvres, L'Iliade, chants XI à XXIV


B Le droit de la guerre

Les réflexions théoriques sur ce droit de la guerre ne devraient pas former un discours utopique mais être au service de l'étude du caractère légal ou légitime de raisons ou de moyens de faire la guerre dans les conflits historiques. Voyons un cas d'école, celui du droit de la guerre appliqué à la guerre du Viet-Nam.
"Le droit de la guerre dans le conflit vietnamien", par Henri Meirowitz
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1967_num_13_1_1923

C La guerre des drones

Pour se faire une idée, rien de mieux qu'un parcours en deux temps. Avec des intellectuels français, Grégoire Chamayou et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer que nous opposerons en un duel de l'esprit !
Voici d'abord une vidéo pour découvrir la théore des drones de Chamayou, inspirée de la lecture de Michel Foucault sur les biopouvoirs.
Alors que les drones militaires se multiplient et que les drones civils sont entrain d'arriver, Grégoire Chamayou, philosophe au CNRS, nous présente son livre Théorie du drone, dans l'émission "Dans le texte" présentée par Judith Bernard.
Ils nous parlera pendant cet échange des arguments utilisés par le gouvernement pour légitimer les drones, mais aussi de la redéfinition de la guerre apportée par ces nouvelles technologies, ainsi que des risques encourues par les populations.

Et voici une réplique qui se veut cinglante, de la part d'un spécialiste de la défense qui refuse d'être catalogué comme collaborateur d'une « nécroéthique ». A lire sur la Vie des Idées :

D L'histoire de la Grande Guerre à l'heure de sa commémoration


Les colles de la seconde partie de l'année ont porté sur divers textes, tirés de journaux du CDI comme la Revue des armées ou bien de la presse grand public.
Ceux qui n'ont pas eu la chance de plancher sur cet article, évoquant la bière "Wipers Times", peuvent maintenant le découvrir à cette adresse :

Pour rester dans la question de la commémoration de 14-18 il est possible d'ouvrir le Monde en ligne
 A la rubrique Centenaire 14-18 on trouve une foule de choses
ou bien encore
A vous d'y aller voir régulièrement.

Très bonnes lectures !


Devoir des vacances de l'été austral

Non, j'ai pas de fils, j'ai personne, je suis seul, oui !

Il avait desserré ses dents et il parlait à pleine bouche bien posément.
Et, sais-tu ce qu'elle me fait dire, votre guerre ? Elle me fait dire : "tant mieux !" Et pourtant, Dieu sait si on en a voulu des petits, avec la Belline, si on a eu envie d'en avoir, jusqu'à embrasser en cachette ceux des autres quand je passais dans les villages.
Et maintenant, je dis : "tant mieux !" 
Jean Giono, Le Grand Troupeau (Folio, p. 113)

Votre lecture des trois oeuvres au programme vous permet-elle de comprendre cette affirmation du personnage de Giono ? Dans quelle mesure pouvez-vous la justifier ?

Corrigé du résumé du texte de Proudhon


Le texte proposé était extrait de l'oeuvre de Pierre-Joseph Proudhon, La Guerre et la Paix. Recherches sur le principe et la constitution du droit des gens (1861)

Celui-ci prévient ainsi son lecteur : "C'est une espèce d'étude historique sur la manière dont la civilisation, débutant par la guerre, tend à une pacification universelle. (...) Tout cela parce qu'il n'a jamais été publié un mot de saine philosophie sur la paix et la guerre, sur l'équilibre européen..."
"La guerre est un fait divin. J'appelle divin tout ce qui dans la nature procède immédiatement de la puissance créatrice, de l'homme dans la spontanéité de l'esprit ou de la conscience. J'appelle divin (...) tout ce qui, se produisant en dehors de la série, ou versant de terme initial à la série, n'admet de la part du philosophe ni question, ni doute".

Voici le plan de l'ouvrage :
  1. Phénoménologie de la guerre
  2. De la nature de la guerre et du droit de la force
  3. La guerre dans les formes
  4. De la cause de la guerre
  5. Transformation de la guerre. 

Et voici un extrait de la fin de la première partie :
"La guerre, nous n'en sourions douter, est avant tout un phénomène de notre vie morale. Elle a son rôle dans la psychologie de l'humanité, comme la religion, la justice, la poésie, l'art, l'industrie, la politique, la liberté ont le leur ; elle est une des formes de notre vertu. (...) Tout ce qui compose notre avoir intellectuel et moral, tout ce qui constitue notre civilisation et notre gloire, se crée tour à tour et se développe dans l'action fulgurante de la guerre et sous l'incubation obscure de la paix. la première peut dire à la seconde : "Je sème ; toi, ma sœur, tu arroses : Dieu donne à tout l'accroissement". (...) Pour moi il est manifeste que la guerre tient par des racines profondes, à peine encore entrevue, au sentiment religieux, juridique, esthétique et moral des peuples. On pourrait même dire qu'elle a sa formule abstraite dans la dialectique. La guerre, c'est notre histoire, notre vie, notre âme tout entière : c'est la législation, la politique, l'État, la patrie, la hiérarchie sociale, le droit des gens, la poésie, la théologie ; encore une fois, c'est tout."  

Le texte à résumer est un extrait de la seconde partie.

Proposition de résumé

Quoique le duel soit un rituel égalitaire, consenti, honorable, il est généralement désapprouvé. La guerre possède une même vertu qui peut mieux triompher des doutes populaires car, contrairement à la violence privée, elle oppose des adversaires collectifs, les peuples, par une action dépassionnée et remplit la fonction de jugement décisif/. Le verdict des armes se solde par une conquête ou bien la création d'une nouvelle nation. C'est donc la possibilité offerte aux États de défendre leur droit par une démonstration de force, l'engagement de leurs soldats.

La guerre est légitime, paradoxalement, ayant sa propre forme de légalité / qui exclut le recours à des stratégies perverses !
Historiquement, elle provient du développement de peuples concurrents, conduits à se défier sur leur frontière puis à s'affronter en mettant en jeu leur survie. Le peuple le plus travailleur, la culture la plus sage ont alors un droit d'annexion établi / par les armes. Certes les faibles périssent... Et c'est véritablement d'un mouvement immanent, non aléatoire, que progressivement s'édifient des États puissants et vertueux.
La guerre est une procédure de justice, ayant sa logique et devant avoir ses règles de transparence. Les Princes sont comme des avocats maniant / le glaive. Les Romains ont ainsi reconnu son caractère sacré et rationnel d'ordalie politique.
215 mots

Deux (beaux) sujets de dissertation

Voilà des souvenirs pour les étudiants de seconde année, MP et PC.
Pourquoi ne pas y repenser à tête reposée ?

Premier sujet

En vous appuyant sur les trois œuvres du programme, commentez cette affirmation d'Alexis Philonenko, extraite de son Essai sur la philosophie de la guerre :
« La guerre n'est pas une lutte. Le propre de la guerre est d'être une action violente s'inscrivant dans une histoire ».

Deuxième sujet

« Il y a deux guerres, celle qu’on fait et celle qu’on dit, et qui n’ont presque rien de commun » (chapitre XXXVIII, "De la rhétorique") Alain, Mars ou la guerre jugée
Votre lecture des oeuvres du programme confirme-t-elle cette affirmation d'Alain ?

Quelques extraits de l'article de Christian Boudignon sur la construction narrative des Perses

Nous avons vu en cours tout l'intérêt de la réflexion de Christian Boudignon intitulé "L'Iliade et la bataille de Salamine dans Les Perses d'Eschyle".

L'auteur traque les "homérismes" dans la tragédie, les échos que le texte contient, échos avec de grands passages de l'Iliade, les figures héroïques, comme celle d'Ajax.
Il montre de manière convaincante comment le messager arrive à produire un récit qui s'inscrit dans la tradition de dévoilement de la vérité par l'aède.
Il souligne l'ambiguïté de l'image de la balance pour illsutrer l'idée d'un sort qui ne pouvcait que pencher en faveur des Grecs.

Voici quelques passages pour rafraîchir les souvenirs (j'enlève le texte grec et les notes).


Au début, au moment où il entre, le messager paraît ne s’adresser à personne sinon au palais. La reine néanmoins réussit à devenir la meneuse du dialogue à travers son silence. C’est pourquoi, lorsqu’elle rompt ce silence, elle reprend la phrase du messager (Perses, v. 254) :
« Pourtant il est nécessaire de dévoiler tout le malheur »
Ce vers devient dans sa bouche (Perses, v. 293-295) :
« Pourtant il est nécessaire  aux mortels de supporter les peines
quand les dieux les donnent : dévoile tout le malheur
vas-y, parle, même si tu dois gémir pourtant. »
Elle divise en deux le discours du messager :
-       la lamentation, soulignée par le chœur
-       et le récit, moins chargé d’émotion, dit et non pas chanté.
Mais par ces mots : λέξον καταστάς « vas-y, parle », elle traite le messager comme un aède homérique. Le messager raconte l’histoire qu’il a vécue (Perses, v. 266) d’une façon qui rappelle Ulysse, quand, parmi les Phéaciens, il met de côté son chagrin (Odyssée 9, 12-13). En plus, le palais d’Alcinoos décrit dans l’Odyssée 7, 84-90, peut être présenté en trois mots comme un « grand havre de richesse » πολὺς πλούτου λιμήν, (Perses,v. 250).

Donc le messager présent à Salamine joue le rôle des Muses dans la mesure où elles sont invoquées pour rappeler ce que l’aède n’a pu voir. C’est pourquoi le messager est dans la situation de construire un discours épique complet. Il répond deux fois aux questions de la reine. D’abord à un niveau théologique, il note seulement l’action d’un dieu (Perses, v. 353-354) :
Ma maîtresse, celui qui a commencé tout ce mal,
c’est un Vengeur apparu d’on ne sait où, un mauvais démon.”
Secundo, il narre le commencement concret de la bataille (Perses, v. 409-410) :
Celui qui commença l’affrontement, c’est un navire grec…”
Cette double entame, ce double principe (ἀρχή) rappelle la double causalité de l’Iliade, divine et humaine. Pourtant le dieu n’a pas de nom. Le discours du messager est purement factuel et refuse toute théorie théologique. Son épopée est fondée sur sa propre expérience.


De nombreux malheurs, je n’en annonce que peu”
Le second récit finit ainsi (Perses, v. 429-430) :
La foule des malheurs, parlerais-je dix jours à la suite,
je n’en viendrais pas à bout devant toi.”
Enfin, on lit à la fin de son discours ( Perses, v. 513-514) :
En parlant, je laisse de côté bien des malheurs
qu’un dieu a fait fondre sur les Perses.”
Par de telles déclarations, le messager exprime son incapacité à être exhaustif parce que la réalité derrière le récit défie toute narration. Cette attitude est typique de l’épopée homérique (Iliade 2, 488-492) :
La foule, je ne saurais la raconter ni la nommer
même si j’avais dix langues, même si j’avais dix bouches,
même si une voix inaltérable, un cœur de bronze étaient en moi
à moins que les Muses Olympiennes, filles de Zeus porte-égide,
ne me remémorent combien ils étaient à être venus sous Ilion.”
Bien qu’il ait été témoin de la bataille, le messager n’est qu’un simple mortel, qui n’a pas le pouvoir des Muses et qui par conséquent est incapable d’atteindre à l’exhaustivité.
Le premier résultat de ces trois éléments est que la reine, en écoutant et en posant des questions met en place une scénographie où elle laisse au messager le soin de jouer le rôle d’un aède parfaitement conscient de sa tâche.



D’une façon remarquable, le messager mentionne la tombée de la nuit trois fois au début de son second récit. La première fois, le faux traître grec vient à Xerxès et lui révèle l’intention des Grecs de fuir “dès qu’arrivera la ténèbre de la nuit noire”



Pour mieux voir le rôle de la causalité divine dans le récit du messager, examinons son explication au début de son compte-rendu de la bataille de Salamine (Perses, v. 345-347) :
Mais ainsi un certain daimôn a détruit l’armée,
pesant dans la balance d’un sort qui ne penche pas de façon égale ;
les dieux sauvent la ville de la déesse Pallas.”
Cette image de la balance est empruntée à la scène homérique de la pesée des kères, les destins collectifs, qui ne se produit qu’une fois dans l’Iliade (8, 69-72):
Et alors le Père déployait la balance ;
il y mettait deux kères de mort douloureuse
celle des Troyens dompteurs de cavales et celle des Achéens à la tunique de bronze ;
il tira la balance par son milieu : le jour fatal des Achéens pencha.”
Le messager adopte cette image mais résume en une seule les différentes actions de Zeus qui met les sorts dans les plateaux de la balance et les pèse. Par cette fusion, le messager fait apparaître que le dieu, quand il met les sorts sur les plateaux, ne peut pas ne pas se rendre compte de leur poids, de sorte que la pesée n’est qu’un spectacle : la décision s’est déjà faite dès que les poids ont été dans la main du dieu. Pour Homère, la balance est simplement une fonction du destin, de la moira, qui est l’objet de la volonté de Zeus. Au huitième chant de l’Iliade, la victoire des Troyens est le résultat de la volonté de Zeus d’honorer Achille, comme, Thétis, sa mère, l’avait demandé. Homère objectivise en une pesée ce que Zeus décide. Chez Eschyle, au contraire, l’action d’un dieu anonyme, d’un daimôn est présentée comme s’il n’y avait plus d’objectivité dans la pesée des sorts : le dieu lui-même trafique la balance et la fait pencher où il veut. Le jugement qu’est la balance dépend entièrement de la volonté des dieux de sauvegarder Athènes. L’expression οὐκ ἰσορρόπῳ « qui ne penche pas de façon égale », comme souvent chez Eschyle, résume toute une action épique avec un seul adjectif, mais la forme négative souligne l’absence de toute impartialité. Cette réinterprétation d’une image d’Homère nous donne un indice dans la relecture de l’Iliade par Eschyle.

Bien plus, dans la bouche du messager, en considération de la taille de la flotte, les Perses auraient dû l’emporter, n’était l’action d’un dieu qui cause leur défaite. La place de cette image à elle seule est significative : le messager vient juste de dire le nombre des navires des deux camps, ce qui rend la décision du dieu d’autant plus surprenante. L’image se trouve en plus au commencement du récit, de sorte que le résultat ne peut pas être expliqué comme le fruit d’un conflit entre deux flottes. En somme, bien que l’image soit la même, la concision eschyléenne et l’ordre narratif fait ressortir l’iniquité divine qu’Homère laissait dans l’ombre. Le texte d’Eschyle n’est pas seulement une reformulation de l’épopée homérique, mais aussi une réécriture de son sens.


«… car lorsqu’un dieu
eut donné prestige aux Grecs dans le combat des navires,
ce même jour, remparant leur corps d’armes de bronze solide,
ils sautèrent de leurs vaisseaux et alentour cernèrent l’île entière.»
Le discours du messager fait allusion à l’Iliade quand le mot typiquement homérique de κῦδος « prestige, gloire » est employé. De plus, l’expression ναῶν μάχης «combat de/aux navires» au lieu de ναυμαχίας «combat naval» pourrait dans ce contexte renvoyer à la bataille autour des navires à la fin du quinzième chant de l’Iliade. La référence à ce contexte homérique est renforcée par une création verbale d’Eschyle : l’adjectif χαλκόστομος « à la bouche de bronze » dans l’expression  ἐμβολαῖς χαλκοστόμοις «par des éperonnages à bec de bronze» (Perses, v. 414) renvoie aux assauts navals des Grecs. Cette expression se rapporte aux longues gaffes «coiffées d’une pointe de bronze» κατὰ στόμα εἱμένα χαλκῷ (Iliade 15, 389) que manient les Achéens contre les Troyens (et plus tard Ajax, en Iliade 15, 677). Ces gaffes pour le combat naval avec leur pointe en bronze deviennent chez Eschyle des navires «armés d’une bouche de bronze» ou plutôt «d’un bec de bronze», leur proue renforcée de métal !
Le parallélisme entre le récit du messager et le quinzième chant nous aide à comprendre l’absence de tout nom de guerrier grec dans la bataille de Salamine. En réalité, le seul nom grec qui apparaisse est celui d’Ajax dans l’expression «île d’Ajax» (νῆσον Αἴαντος Perses 307 et 368) parce que Salamine était le lieu de culte d’Ajax. Le narrateur utilise l’expression une seconde fois quand Xerxès envoie «d’autres navires tout autour de l’île d’Ajax»



Et la conclusion de l'article, pour retrouver l'essentiel.


Il me faut à présent tirer les conclusions de cette moisson et énoncer les résultats qui s’en dégagent. Eschyle ne se contente pas de donner une couleur homérique au récit de la bataille de Salamine. Il transforme le messager en nouvel aède en le mettant dans la situation des Muses face à la reine Atossa, même si lui-même revendique plutôt la situation de l’aède, mortel incapable de tout dire. Dans ce contexte, le récit du messager est ponctué du refrain épique évoquant la ténèbre nocturne, mais cette allusion est réinterprétée dans un sens nouveau. La ténèbre n’a plus rien de sacré : le monde reçoit une organisation scientifique, où l’éther joue le rôle de temple, et où l’ordre des choses, les limites du jour et de la nuit, de la mer et de la terre ne doivent pas être transgressées, sous peine de sanction, comme l’éprouvera Xerxès qui veut combattre de nuit et sur mer. L’anthropomorphisme de l’expression « l’éclat du soleil dépérit » est caduc dans ce nouveau contexte scientifique : ces mots peuvent donc être désormais appliqués à un mortel, au roi Xerxès, qui dejour éclatant de blancheur devient un soleil flétri. Dès lors, l’action de la divinité n’est plus de suivre l’ordre du monde imposé par le destin comme chez Homère, mais au contraire de rétablir l’ordre, y compris par l’injustice. Et pour ce faire, la divinité peut modifier l’équilibre des forces, d’une façon qui ne peut que paraître inique aux victimes de cet arbitrage. Plus précisément, le récit du messager apparaît comme la reprise du chant XV de l’Iliade : le combat autour des navires devient un combat naval. Les gaffes de combat naval à pointe de bronze utilisées par les Achéens et Ajax deviennent les rostres de bronze des navires à Salamine. Dans l’Iliade, le rempart des Achéens n’était d’aucune efficacité devant les Troyens, seuls les boucliers de bronze servaient de rempart, et encore… ; dans les Perses, seuls les hommes et leurs navires servent de rempart. Bien plus, dans l’Iliade, Ajax était le véritable rempart des Achéens et il les sauve au chant XV en combattant sur les bateaux avec sa longue gaffe. Dans les Perses, l’insistance à définir Salamine comme l’île d’Ajax, le fait que ce soit le seul nom qui apparaisse du côté grec, qu’un daimôn soit apparu d’on ne sait où (alors qu’on est justement du côté de Salamine, lieu de culte du héros Ajax), et qu’intervienne unvengeur, être divin indéfini qui vient défendre éventuellement son domaine profané, tout cela laisse supposer qu’Ajax, héros divinisé, est de nouveau mais divinement, à l’œuvre dans la bataille de Salamine du côté des Grecs. Mais alors que dans l’Iliade, les Achéens étaient incapables de se défendre et que seul Ajax pouvait assurer la protection des navires, ici collectivement et anonymement les Grecs rejouent théâtralement le chant XV de l’Iliade, mais en en inversant l’issue. Xerxès donc qui se rêvait comme un nouvel Hector (à qui dans l’Iliade est promise la victoire jusqu’à ce que le soleil se couche), parce qu’il transgresse l’ordre des choses en voulant combattre de nuit,  est désormais vaincu. Il pourra, à la fin de la pièce, apparaître, vivant mais déshonoré, à la cour de Suse. La référence à Homère sert donc bien au messager à construire le drame tragique et l’effondrement du « héros » vaincu, Xerxès.


Hommages au Feu

Sur le site des amis d'Henri Barbusse on trouve quelques ressources intéressantes. Voici par exemple un petit texte de Philippe Baudorre mettant en valeur de manière convaincante la dimension artistique du roman.


HOMMAGES du 15 juin 1996. ALLOCUTION de Philippe BAUDORRE

L'impact du Feu, vous le savez, a été considérable. Je voudrais simplement m'arrêter sur un élément qui permet d'en comprendre les raisons: sa force de représentation du réel. Ce que Le Feu donne à voir et à entendre.

Ce livre a fait voir la guerre à ceux qui en étaient éloignés, qui ne savaient pas, qui ne pouvaient pas se représenter une réalité qui dépassait toute imagination. Il l'a rendue ainsi visible pour eux, pour nous, pour tous ceux qui viendront mais aussi, et peut-être d'abord, pour ceux qui depuis des mois étaient dans les tranchées. Les témoignages les plus bouleversants, dans les lettres reçues par Barbusse, ne sont pas ceux qui lui disent : « En vous lisant, j'ai reconnu ce que je voyais depuis des mois » mais « En vous lisant j'ai vu ce qui m’entourait depuis des mois et que je n'avais pourtant jamais vu auparavant ». Le Feu, tel un appareil photographique, fixe les images de la guerre ; c'était le souci de Barbusse demandant à sa femme un appareil Kodak pour « fixer les physionomies et les événements extraordinaires que je vis ici ».
Mais plus que photographe, Barbusse est surtout peintre ; son œuvre éduque le regard, forme le regard, accomplissant ce que Paul Klee fixait comme objectif à la peinture et à l'art en général : « La grandeur de l'œuvre d'art n'est pas de montrer le visible mais de rendre visible ».
Le Feu donne aussi beaucoup à entendre : Barbusse est un œil mais aussi une oreille, un appareil enregistreur d'une grande sensibilité, fasciné par les mots, les accents, les voix. Les plus grands stylisticiens, Léo Spitzer ou plus près de nous Henri Mitterrand, ont étudié la langue du Feu comme un extraordinaire témoignage de la langue populaire, de l'argot des tranchées, mais tous ont souligné que l'essentiel était beaucoup plus profond ; Barbusse ne se contente pas de plaquer quelques expressions pittoresques pour créer l'illusion du vrai : il a su capter les inflexions de voix, le rythme des phrase, les accents, les intonations, et les rendre dans une prose qui n'est pas une plate transcription de l'oral mais son équivalent musical, cette "petite musique" qu'un autre de nos grands stylistes, Louis-Ferdinand Céline, a passé sa vie à chercher, et qu'il avouait avoir trouvé chez Barbusse. Il peint les hommes par leur langue, dans leur langue ; la voix ou plutôt les voix des soldats nous parviennent dans leur grande variété, leurs nuances, et cette polyphonie est la plus pure expression de leur esprit, de leur courage, de leur résignation, de leur âme.
« Roman, poème, épopée, Le Feu est donc d'abord une œuvre d'art », écrivait, il y a dix ans, Jean Relinger. C'est ce que j'ai voulu rappeler aujourd'hui. Comme tout grand artiste, Barbusse a su miraculeusement exprimer ce qu'en 1916 personne n'avait encore exprimé ou même perçu et ce, sans bénéficier d'aucun recul, en restant au cœur de l'événement. Si Le Feu échappe à son époque. ce n'est pas seulement parce que des guerres aussi sauvages, aussi absurdes que celle qu'il nous donne à voir continuent à ensanglanter le monde, c'est aussi parce que Barbusse, comme tout véritable artiste, y saisit notre souffrance, notre misère, notre pauvre condition humaine et les transfigure, retourne la blessure en force, la déchéance en dignité, la destruction en création. Telle est la réussite et la grandeur du Feu, telle a été aussi la grandeur de Baudelaire, un des artistes français dont Barbusse a peut-être été le plus proche.
En lisant de nombreux passages du Feu, on pense au grand et terrible poème des Fleurs du mal : « Une Charogne ». Mais il ne faut pas chercher dans ces deux œuvres une complaisance morbide ; il faut y voir au contraire le courage d'artistes qui regardent en face la misère de l'homme et ont le courage de l'assumer jusqu'au bout, jusqu'à la métamorphoser en art. Je voudrais, pour terminer, rappeler la dernière strophe d'un autre poème de Baudelaire, « Les Phares » :
Car c’est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage
Que nous puissions donner de notre dignité
Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge
Et vient mourir au bord de votre éternité !
 Le Feu a bien été cet "ardent sanglot" et reste aujourd'hui encore "le meilleur témoignage […] de notre dignité".

Céline, Baudelaire, pourquoi pas ? A chacun de juger ! Voici l'adresse de l'article pour retrouver le site :

lundi 17 novembre 2014

En cas de guerre il faut choisir

Les "Réflexions sur la guerre de Simone Weil" permettent de considérer la guerre moderne sous l'aspect d'une guerre qui tend à devenir totale.

Voici un nouveau sujet de dissertation :
"En cas de guerre, il faut choisir entre entraver le fonctionnement de la machine militaire dont on constitue soi-même un rouage ou bien aider cette machine à broyer aveuglément les vies humaines. la parole de Liebknecht : "l'ennemi principal est dans notre pays" prend ainsi tout son sens, et se révèle applicable à toute guerre où les soldats sont réduits à l'état de matière passive entre les mains d'un appareil militaire et bureaucratique".

Il oriente nettement la réflexion sur le thème de la liberté. Un sujet mobilisé, envoyé pour faire la guerre, est-il en mesure de faire des choix ? Peut-il encore choisir ? Accepter ou refuser la guerre ?

Voici une discussion. Une nouvelle fois en deux parties. Cette fois il s'agit d'une copie d'un élève de MP.



    Un Etat peut être décrit par ses lois. Or celles-ci différent suivant les Etats considérés. Certains comportements peuvent être acceptés dans un Etat particulier et être interdits dans un autre. Malgré leurs différences historiques, tous les Etats se mettent à fonctionner de la même manière ou à peu près lorsqu'ils sont en guerre. Toute la société se trouve affectée et reçoit des ordres, se met à travailler pour la guerre. Or, comme nous le dit Simone Weil, « En cas de guerre, il faut choisir entre entraver le fonctionnement de la machine militaire dont on constitue soi même un rouage, ou bien aider cette machine à broyer aveuglément des vies humaines ». Cette idée de choix ne va pas de soi. A-t-on vraiment le choix d'accepter ou de refuser la guerre ? Quelles sont les conséquences d'un refus d'obtempérer ? Est-ce même pensable ? Nous allons voir que cette machine de guerre qui n'est autre que l'Etat déployant ses forces a besoin que tous les éléments qui la constituent soient en accord avec elle. Elle impose l'obéissance, ce qui semble normal, et même la soumission, ce qui l'est moins. Faut-il préférer l'insoumission ? Est-il permis d'espérer l'arrêt de la machine ?

      L'Etat en temps de guerre se transforme inéluctablement en une machine de guerre, une « machine à broyer aveuglément les vies humaines » comme Simone Weil le précise.
    C'est alors toute la société qui alimente, par son énergie, son temps, ses forces cette machine infernale. Par exemple l'industrie est un des secteurs les plus sollicités, l'équipement et l'armement devenant des postes vitaux. En contrepartie d'autres secteurs sont délaissés et le rationnement s'instaure. Par exemple dans l'oeuvre de Barbusse, Le Feu, l'escouade a de grandes difficultés à obtenir des choses simples comme une boîte d'allumettes. Lorsqu'elle est à l'arrière, elle est soumise aux profiteurs de guerre. Les poilus sont obligés d'entamer de longues quêtes pour se fournir en pinard ou trouver une table accueillante. Avec le prétexte de la guerre, la société tout entière est devenue prédatrice !
     Comme l'ensemble des citoyens subissant l'effort de guerre, les soldats doivent accepter de telles contraintes pour respecter l'union sacrée. Cette union des forces s'impose comme une sorte d'impératif absolu. En temps de guerre, tous les hommes politiques soutiennent inconditionnellement le gouvernement. Les syndicats épaulent le patronat. Les patrons se plient à l'administration. Toute la société est animée par le sentiment du devoir. Ainsi, sous le régime de la loi martiale le citoyen n'a plus que des devoirs. Le citoyen enrôlé devient même un pur sujet auquel le choix est retiré, n'ayant plus de droits à faire valoir. Il est sûr que des soldats envoyés au front n'ont pas forcément choisi d'aller affronter l'ennemi. Mais ils choisissent majoritairement de le faire, pour défendre leur pays. Ils paient le prix du sang comme le suggère Clausewitz. Ce devoir peut même paraître naturel à ceux qui sont animés d'un sentiment patriotique comme le soldat imaginé par l'auteur de de la guerre, livre I, chapitre 5, qui court au combat sans s'inquiéter pour lui-même des dangers de la guerre.
     Mécanisme implacable, la guerre peut apparaître nécessaire à tous, y compris au soldat et même s'il est envoyé au massacre. Car elle a un alibi : la défense du territoire nationale, des richesses q'il contient, des populations qui y vivent. Les raisons pour faire la guerre peuvent être déterminantes pour engendrer au moins l'acceptation du conflit voire un esprit guerrier. Il s'agit de l'honneur du souverain, de la soif de conquête d'un peuple qui se croit supérieur aux autres, de la volonté de se venger, pour reprendre les raisons évoquées dans Les Perses d'Eschyle. L'engagement du soldat en dépend.
Mais toujours est-il que, quel que soit le motif allégué, si un sujet refuse d'obéir et qu'il essaye même d'entraver la machine de guerre, il devient un traître. En réalité le choix individuel se résumerait à trahir sa nation ou à accepter la soumission.

    Le choix de partir en guerre appartient à l'Etat. C'est même l'essence de la souveraineté, la prérogative du Prince. Ce choix est fait au nom de tous les citoyens et implique tous les citoyens une fois pour toutes.
      La situation était différente dans les premiers Etats qui n'étaient guère que des clans ayant grandi à la dimension de cités ou d'empires, réunion de cités. Dans Les Perses, le choix de partir en guerre appartient à Xerxès et non pas à chaque Perse. Son armée ne fait que suivre ses ordres directs. Elle doit obéir à son maître, voire à son dieu ! Ce qui est normal, car « l'armée dorée » (v. 10) « ce grand flot d'hommes » (v. 87) ou « la fleur des Perses» (v. 252) est davantage une armée personnelle qu'une armée nationale. Contrairement à l'armée prussienne du temps de Clausewitz ou à l'armée française en 1914, elle est composée de guerriers non pas de soldats mobilisés. Quoi qu'il en soit, le choix de partir en guerre est ordinairement refusé, sauf peut-être aux élites de la nation. Il s'agit des stratèges, des diplomates, des chefs d'Etat voire de leurs auxiliaires. Clausewitz précise alors que la guerre, moyen violent de poursuivre des négociations ayant échoué, est portée par les décisions d'hommes qui semblent y jouer ! En premier lieu, le général qui commande à toute une armée ou à tout un régiment.
     En réalité, le choix de déclarer la guerre est déterminé par trois choses : les forces armées de l'ennemi, son territoire ainsi que ses réserves, enfin les alliés qu'il possède et les alliances qu'il est susceptible d'obtenir. C'est donc bien un jeu stratégique qui s'enclenche à partir d'un pari initial : est-il pour l'Etat plus avantageux de lancer maintenant ses forces militaires contre l'adversaire ou bien de tenter de négocier avec lui et de gagner du temps ? Peut-il espérer écraser son ennemi ? Dans un Etat moderne, la masse doit ainsi faire confiance à ses dirigeants pour que cette machine soit disponible le jour J et fonctionne efficacement dès l'entrée en guerre. Et, comme cette confiance est très difficile à obtenir, des sanctions très lourdes sont prévues à l'encontre des insoumis, pour ceux qui refuseraient la mobilisation décrétée par l'appareil étatique. Dans Le Feu, les soldats sont en quelque sorte pris au piège. Et au bout de quelques mois de guerre ils ne comprennent plus l'utilité de la guerre mais doivent toujours continuer à la faire, sous peine d'être sanctionnés par l'Etat-major aussi durement que par les ennemis boches ! Les déserteurs sont exécutés pour l'exemple, car leur simple refus équivaut à de la haute trahison. Le pire étant qu'en désobéissant aux ordres un soldat pourrait avoir l'impression d'abandonner ses frères d'armes. Par conséquent, les poilus n'ont plus qu'une seule chance de sortir de cet enfer des tranchées, c'est d'obtenir la bonne blessure de l'ennemi ! Le narrateur et ses compagnons sont jaloux de Volpatte qui a obtenu une blessure à l'oreille, ce qui lui permet de quitter le front pendant quelques temps.
    Au final le soldat est tiraillé entre deux options : soit trahir sa nation et les siens, soit aider la machine de guerre en espérant ne pas le payer de sa vie.

     Pour conclure, le choix qu'on doit faire s'avère cornélien et souvent, dans l'urgence, il ne se pose même pas. Si on choisit de désobéir, on est un traître, ce qui conduit la plupart du temps à la mort ; et si l'on préfère obéir, on est là aussi quasiment certain de mourir dans le déchaînement de la puissance de feu des armements modernes. Dans les deux cas, on s'expose à un risque de mort très élevé, la guerre n'ayant aucune pitié par définition. Il faut pourtant choisir son camp. Et pour cela il faut un jugement très sûr ou bien une intuition remarquable. Sans pouvoir éviter par son choix le sacrifice de sa vie ou de terribles souffrances, le soldat espère opter pour le possible le moins vain !

... ou un fait de politique intérieure ?

Le précédent devoir s'appuie judicieusement sur les trois oeuvres. Mais la réflexion est rapide, la progression mérite d'être retravaillée. Et si l'on approfondissait notre réflexion avec Simone Weil en transformant le devoir en dissertation comportant trois parties ?

Transformation du plan en deux partie en plan en trois parties. Voici la troisième partie.

Objectifs : tirer davantage des œuvres ; réfléchir ce que Weil nous présente comme capital, l'établissement d'un « appareil oppressif », d'une grande machine qui subordonne tout à ses fins ; aboutir à une redéfinition de la guerre plus englobante

Idée directrice :

Lorsqu'on voit que la guerre est bien d'abord un fait de politique intérieure on est poussé à la redéfinir comme une gigantesque machine qui instrumentalise les hommes et qui achève en un sens l'exploitation de l'homme par l'homme.
Précisions : il est permis d'évoquer la « méthode matérialiste » de Weil et de ne pas adhérer pour autant, comme Weil, à une pensée de type marxiste ! Le terme d'aliénation peut être utilisé et même réfléchi (sens profond et sens particuliers : qu'est-ce exactement que l'aliénation du sujet endoctriné par une idéologie belliciste, du citoyen mobilisé, du soldat envoyé au combat, du général poussé à donner des ordres criminels...)

Structure de l'argumentation

a) Il faut gagner. La guerre suppose la transformation de la nation en machine de guerre.
Hier, en enrôlant des guerriers ; aujourd'hui avec une économie de guerre, une mobilisation générale, un état d'urgence déclaré.

b) Le prix à payer. La logique de la guerre est totalitaire.
La guerre suppose l'unanimité. L'absolue soumission des volontés particulières.

c) Et la politique de guerre tend à devenir paranoïaque, avec l'invention de l'ennemi intérieur !
Le moindre incident peut être interprété comme une forme de résistance voire de trahison. La guerre est un temps de rumeur, d'où les fièvres obsidionales.

Ressources à tirer des trois œuvres, quelques pistes :
Les Perses
On peut discuter la figure du traître avec cette œuvre. La paranoïa du temps de guerre s'explique parce qu'il a existé des traîtres et même des agents doubles ! Rarement, plus souvent ce sont de simples rumeurs. On peut réfléchir aussi, toujours de manière critique, la faute de l'impérialisme. Faute morale du chef, ou orgueil insensé puni par les dieux ? Ou bien faute politique du souverain qui emploie les hommes comme des outils, des armes dépourvues de volonté propre ?

De la guerre
Clausewitz nous permet d'envisager la guerre comme une épreuve pour la volonté. Voire comme l'épreuve suprême pour la volonté. Et les rapports hiérarchiques (chef-général-soldat) peuvent être justifiés (ou critiquées si on n'épouse pas la pensée de l'auteur de de la guerre).

Le Feu
Il y a une illustration précise de la machine de guerre. De son fonctionnement. Des descriptions de sa puissance de destruction généralisée, aveugle. Cf. chapitre « L'Aube »
Et une distance morale voire une condamnation de la logique même de la soumission inconditionnelle. Mais aussi l'idée d'une acceptation du sort par les soldats... qui ne voient pas comment y échapper. Ils créent leur propre ennemi : l'embusqué. Parfois on leur retourne leur aveuglement en inventant le soldat glorieux, le héros de guerre... là où il n'y a que des hommes qui s'efforcent de survivre. La guerre est créatrice d'illusions. Elle nie les hommes et pousse les soldats à tenter de fuir le réel.

Un épisode de politique extérieure ?

Suite au résumé du texte de Simone Weil tiré de ses "Réflexions sur la guerre", voici un sujet de discussion.

La guerre est-elle un épisode de politique extérieure ou bien un fait de politique intérieure ?

En vous appuyant sur votre lecture des trois œuvres du programme vous tenterez de répondre à cette interrogation.


Pour une petite dissertation ou discussion, dont la rédaction ne peut se faire en plus de trois heures, il est recommandé de faire un plan en deux parties. Voici, un corrigé, réalisé à partir de la copie d'un élève de la classe de PC.

Il apparaît comme évident que toute guerre, exception faite de la guerre civile, a besoin pour exister d'un opposant extérieur. A ce titre et parce qu'elle instaure l'autre en ennemi, la guerre est en général un "épisode de politique extérieure". Malgré tout, ce serait d'après Simone Weil, dans ses réflexions sur la guerre », une erreur que de considérer la guerre comme un tel fait plutôt que comme un "fait de politique intérieure". La politique extérieure correspond aux efforts pour réaliser des plans stratégiques et atteindre des objectifs proprement militaires et la politique intérieure à la mobilisation préalable de tous les citoyens, forces vives de la nation, et la réquisition des moyens nécessaires à la poursuite de ces ambitions. Il s'agit donc ici de juger l'importance relative de ces deux aspects de la politique dans la conduite de la guerre en définissant précisément les facteurs qui font d'elle un fait de politique extérieure indéniable puis en montrant le mécanisme de l'embrigadement des forces vives d'un peuple par les pouvoirs temporels ou spirituels. Faut-il considérer la guerre comme l'aboutissement logique d'un rêve collectif de puissance et comme une forme terrible de servitude consentie ?

On l'a dit, si l'on ne tient pas compte du cas monstrueux de la guerre civile, au cours de laquelle une nation se déchire, toute guerre est en partie un remarquable fait de politique extérieure.
La guerre apparaît comme l'affrontement de deux puissances. Ainsi, dans De la guerre, Clausewitz affirme d'emblée que « la guerre n'est rien d'autre qu'un duel amplifié ». Or, dans un duel, le seul objectif est de tuer l'adversaire qui nous fait face. Certes le duel est vécu comme une épreuve morale, qui suppose avec le courage un retour à soi, mais il n'y a dans le duel lui-même qu'un seul rapport établi, qui est le rapport entre nous et notre ennemi. Ainsi, la guerre est une sorte d'affrontement régi par les interactions qui s'instaurent simultanément entre les États révélant leur hostilité mutuelle.
La guerre se joue naturellement à deux ou à plusieurs. N'étant pas un acte isolé et un pur accident, elle ne se déclenche pas gratuitement, comme une combustion spontanée. La violence des champs de bataille ne se déclenche pas de manière instantanée mais résulte du déchaînement d'un « élément brutal » dominé par une « intention hostile ». De cette manière, on doit supposer une maturation de l'idée guerrière bien avant le début des hostilités proprement dites. L'ennemi est d'abord virtuel avant de devenir réel. Il est suspecté avant d'être plus clairement identifié. Lorsqu'une guerre éclate, c'est la conséquence de rapports hostiles entre des puissances qui se sont longtemps défiées. Il s'agit pour chacune de ces puissances de réaliser sa politique extérieure en acceptant de payer le prix du sang.
De plus, les préparatifs de guerre font intervenir la politique extérieure. En effet la recherche d'alliés pour partir en guerre fait partie intégrante des préparatifs de guerre. Cette recherche appuyée par une diplomatie convaincante est même en quelque sorte le prélude à la guerre. Dans Les Perses ce n'est pas un État unifié qui part en guerre mais une multitude de peuples coalisés, de combattants de diverses origines qui ont été regroupés pour lancer une attaque contre la Grèce. Avant la grande guerre de Xerxès, il y eut donc de multiples affrontements préalables, un grand nombre de royaumes défaits et vassalisés. La guerre dont nous parle Eschyle est un projet impérialiste qui ne semble pas avoir de fin s'il ne rencontre pas un jour l'adversaire qui lui inflige une défaite, le pousse à la retraite.
Il y a tout de même une limite à cette définition de la guerre à partir de la perspective de la politique extérieure. C'est que cette approche du phénomène ne tient compte que du rapport militaire des forces, adoptant le point de vue des généraux ou des stratèges, et ne tient pas compte, comme l'avance Simone Weil, des moyens humains mis en œuvre pour atteindre l'objectif de guerre. C'est ce décalage qui conduit à l'incompréhension qu'on retrouve dans les pages du Feu de Barbusse, lorsque les soldats au front se demandent eux-mêmes pourquoi ils font la guerre, pour quoi on les a lancés dans une telle aventure absurde.

La définition de la guerre dont nous sommes partis est incomplète puisqu'elle privilégie le point de vue de ceux qui dirigent la guerre contre celui des hommes qui la font. Or, la guerre, pour être un épisode de politique extérieure, est essentiellement un fait de politique intérieure.
Le peuple qui est le sujet et la substance de la guerre tire sa cohésion de l'art politique qui, selon Protagoras, a été donné à tous les hommes. Un peuple qui entre en guerre c'est le résultat d'une politique intérieure habilement menée ! L'erreur que commettrait Clausewitz, qui est plutôt l'erreur que commettent aujourd'hui beaucoup d'observateurs des guerres modernes en les décrivant comme des sortes de fatalité, est de séparer l'homme de l’État qui l'envoie à la guerre. Dans Pilote de guerre, Antoine de Saint-Exupéry relate un épisode significatif du temps de guerre. Un groupe de soldats voulant faire la guerre est confronté à des civils, femmes et enfants, qui leur demandent de l'aide. Petit à petit les soldats redeviennent des hommes et se détournent de leur objectif guerrier. Ainsi les hommes trouvent la paix, « parce qu'ils ne trouvaient pas la guerre ». Cette anecdote démontre à quel point les hommes conduits à la guerre resteraient hostile à elle, s'ils n'étaient pas instrumentalisés, réduits à l'état de pions, utilisés comme des esclaves mis au service de l'armement, par les pouvoirs belliqueux – la hiérarchie militaire mais aussi les dirigeants politiques. Les hommes n'ont pas de buts de guerre, on leur en impose par tous les moyens.
Nous pouvons alors repenser la nature de la guerre comme jeu de pouvoirs, en tenant toujours compte des forces ennemies, du partage de l'hostilité, mais en prenant également en considération la résistance des pions. Clausewitz lui-même évoque au premier chapitre de De la guerre le rapprochement possible de la guerre réelle avec la notion de jeu. Assis à notre table de poker, l'autre est si l'on y réfléchit bien un adversaire mais pas l'ennemi, l'ennemi étant soi-même : ses propres faiblesses, sa propre peur, sa propre imprudence, son propre manque de lucidité.
En suivant cette idée il apparaît paradoxalement que la guerre est plutôt l'opposition entre d'une part un système, réunissant les États en guerre, et d'autre part une masse d'hommes envoyés à la mort par ces mêmes États. Ainsi la plus féroce des guerres inter-étatiques peut s'apparenter à une guerre civile généralisée ! « Deux armées qui se battent, c'est une grande armée qui se suicide », affirme Barbusse. Or la guerre civile ou le suicide collectif devraient être considérés comme des maladies, des dérèglements qu'il faut combattre ou soigner à temps. L'exécution du déserteur dans Le Feu illustre parfaitement le rapport inégal de forces qui existe à l'intérieur même d'une nation en danger. Ce n'est plus l'ennemi qui sème la terreur mais l’État pour lequel les hommes doivent se battre. Ces rapports de domination interne existent donc bel et bien. Et il importe d'en tenir compte pour approcher précisément le phénomène de la guerre.
De plus, comme Clausewitz le dit lui-même, la guerre doit être considérée à la fois comme étant voulue par la politique d'un État et comme ce qui détermine la situation politique future d'un État. Une guerre peut ruiner ou même défaire un État auparavant prospère. À l'inverse, une déclaration de guerre peut ressouder les liens de citoyens appelés à payer l'impôt du sang. Une victoire peut affermir le pouvoir du Prince. C'est donc à l'intérieur de l’État que la guerre a le plus de conséquences. Il y a certes, dans la tragédie des Perses, l'exposition de la victoire d'un peuple sur un autre, mais il y a surtout la mise en scène de la victoire du système politique grec, démocratique, résistant à la tyrannie des riches et puissants barbares perses. Toute guerre teste la capacité interne d'un système politique à résister à une grave crise.

Il y a donc bien dans la guerre en général une part de politique extérieure au sens où la guerre exprime une hostilité qui s'extériorise. Mais il faut alors tenir compte des rapports qui s'instaurent entre l’État et son armée, les pouvoirs et le peuple, ce qui est précisément l'objet de la politique intérieure. La prudence ou la sagesse incitent à faire passer l'humain au premier plan. Il convient de s'interroger sur les conditions morales et spirituelles qui peuvent amener à envoyer au massacre des hommes privés de leur discernement ou de la capacité à dire non. Les objectifs immédiats de la guerre commandent la mise en œuvre de moyens extrêmes. Une fois ceux-ci atteints « il n'est plus d'armée, il n'est plus que des hommes » comme nous le dit Saint-Exupéry.

Un ouvrage collectif sur la figure de l'ennemi


Reinhard Johler, Freddy Raphaël & Patrick Schmoll (dir.). La Construction de l'ennemi. Strasbourg, Néothèque, 2009, 324 p.

Résumé de l'ouvrage

La figure de l'ennemi prépare, accompagne et soutient l'effort de guerre. Des rhétoriques et des scénographies la construisent. Des savoirs à prétentions scientifiques ou religieuses la légitiment. Des médias la transmettent.
Les relations franco-allemandes depuis 150 ans permettent d'observer ce construit, son exacerbation passionnelle pendant et entre trois guerres successives, en même temps que son évaporation tout aussi remarquable après les années 1950 avec la construction européenne. Allemands et Français, ennemis héréditaires d'hier, sont devenus la colonne vertébrale de l’Europe. Ce retournement en une génération de représentations hostiles pourtant séculaires a définitivement sapé la crédibilité des discours qui depuis nous proposent des figures hostiles de remplacement : l’Union soviétique après 1945, le terrorisme islamiste depuis la chute du Mur de Berlin.
Contrastant avec les passions qu'elle suscite et avec l'impossibilité pour les adversaires de l'interroger sur le moment, l'inconsistance de la figure de l'ennemi telle qu'elle s'avère dans l'après-coup, sa versatilité au gré des discours qui la fabriquent et la scénarisent, révèlent qu'elle a une fonction. Les adversaires sont unis par leur désignation mutuelle comme ennemis, qui renforce par réciprocité leurs identités propres. Que deviendrait chacun s'il n'avait pas un ennemi sur qui compter pour se rassurer sur lui-même ? La société, l’individu peuvent-ils exister sans lui ?

Introduction, à lire à l'adresse suivante :

samedi 4 octobre 2014

Manicore

Les premiers groupes de colles de culture générale ont défilé devant leur examinateur, c'est-à-dire leur professeur. Comme chaque année il y a eu du bon et du moins bon. L'aisance à l'oral est une capacité que les études secondaires développent de manière très inégale, et qui tient sans doute pour beaucoup aux activités extra-scolaires. De mémoire de prof, on a très rarement vu un élève ayant pratiqué le théâtre en loisir avoir des difficultés à l'oral. Mais quant aux sportifs ou aux amateurs de jeux électroniques... c'est une autre histoire. 

La capacité à bien s'exprimer n'est pas seule en cause. Les inégalités de culture générale sont aussi très frappantes. Elles sont là, constatées par tous, un peu comme si durant un championnat on opposait l'équipe de France aux mimines de l'AS Bras-Panon. Or, il suffit de prendre de bonnes habitudes pour cesser d'être sot. Il convient de se tourner vers les connaissances, pas de consommer des informations. Rien de plus efficace que l'habitude d'écouter les radios de Radio-France, France-Inter et France-Culture, de regarder Arte, sur un écran de télé ou une tablette, de lire au CDI Le Monde ou Le Point, de fréquenter une médiathèque, de participer à la nuit des musées ou bien aux journées du patrimoine, pour se forger progressivement une solide culture générale.
Ceux qui ne le font pas sont ceux qui préfèrent l'inculture. Ce sont ceux, et ils sont nombreux hélas, qui refusent les lumières de la culture qu'aucune autre époque n'a aussi abondamment prodiguées gratuitement ou presque. Et c'est le conformisme bien plus que les différences de classes sociales qui est responsable du dédain généralisé pour la culture. C'est la paresse et pas la naissance dans telle famille qui est le principal obstacle... on la voit effectivement sévir dans des foyers aisés comme on la voit ardemment combattue dans des familles mono-parentales aux revenus très faibles !

Quittons la leçon de morale pour donner un bon conseil supplémentaire. On n'est plus à cela près... Ce conseil résulte d'un constat initial. Les textes proposés concernant la thématique du développement durable donnent parfois de remarquables exposés, mais très souvent des propos confus, témoignant d'une grande ignorance sur à peu près tout, le climat, les sols, les industries, le risque, les métiers, l'énergie, la science, les marchés, etc. Que d'exposés révoltés par la pollution et qui font entrevoir un avenir radieux basé sur le solaire ou les éoliennes ! Il ne faut plus s'étonner si un élève affirme qu'une centrale nucléaire rejette des composés radioactifs par sa cheminée ou s'il dit que demain nous roulerons tous en voitures électriques. 
Or, je ne suis pas sûr que dans ce genre de désastre soit imputable seulement à des lacunes. Parmi les causes de l'ignorance, il y a peut-être également de très mauvais cours de géographie, des reportages télévisuels bâtis sur le principe selon lequel il faut toujours terminer une émission par une note positive, des discours politiques qui pratiquent le green-washing... 
Des antidotes existent à ce baratin. Par exemple les cours et réflexions destinées au grand public de Jean-Marc Jancovici. C'est ce que je répète aux élèves lorsqu'ils tombent sur un texte concernant les gaz de schiste ou la transition énergétique ou même sur un article permettant de rebondir sur un des grands débats de société comme le réchauffement planétaire ou la société pétrolo-dépendante. 

Manicore, le site de Jean-Marc Jancovici vaut le détour. Il est toujours actualisé. Toujours alimenté de nouvelles connaissances. Car, avec son style "pince-sans-rire", Jancovici s'obstine à nous tirer de notre aveuglement, en nous rappelant des faits et surtout en nous donnant des méthodes pour bien penser ce genre de questions : avoir des ordres de grandeur précis dans la tête, raisonner en énergies primaires et non pas secondaires, utiliser la règle de trois, prendre en compte les effets systémiques, refuser de considérer l'économie comme reposant sur des lois naturelles... On a donc besoin de lui, besoin de lire attentivement ses analyses. 
En voici quelques unes parmi les (assez) récentes :
Et même des vidéos ou des émissions de radio :
Une des meilleures interventions, devant une commission de l'Assemblée Nationale :

Nos hommes et femmes politiques savent donc ou peuvent donc savoir ce que sait un ingénieur comme Jean-Marc Jancovici. Ils décident leurs programmes d'action en connaissance de cause, sans excuse. A chacun de nous, en tant que citoyens, de ne pas être les dupes des promesses aberrantes et des craintes irrationnelles. 
Bonnes futures colles sur ces thèmes de culture générale qui nous passionnent car ils engagent notre avenir commun ! Défendez votre opinion. Abordez les thèmes d'actualité en mobilisant toutes les capacités de votre raison et de votre formation scientifique. 

mardi 23 septembre 2014

Correction du DS "La guerre est naturelle" Bergson


Proposition de résumé

Homo faber peut dominer la nature avec ses outils. Or ses créations, de même que l'ensemble de sa production, peuvent lui être dérobées. Et le parasitisme peut se doubler du vol de territoires ou même du rapt d'humains. Il faut donc toujours se défendre : la guerre surgit immédiatement du besoin de protéger toutes ses propriétés. (57)

Se battre est instinctif. C'est une nécessité mais aussi universellement un honneur. Ainsi, les jeux violents des gamins comme les duels des adultes rejoignent les guerres entre États en manifestant le désir d'éprouver ses forces contre un adversaire. Ces joutes arbitraires sont une formidable occasion de tester son courage. Ce sont des répétitions ! Même si la souffrance dégrise, la prise de risque agit comme une drogue d'oubli sur le guerrier.
De plus, il existe des haines viscérales. De puissants préjugés contre les autres peuples, surtout ses voisins pour peu qu'on souligne leurs différences, tendent à faire systématiquement de l'étranger un ennemi, non pas un être avec qui échanger. La paix reste utopique sans ouverture culturelle à l'autre ! (121)

Comme l'histoire récente le montre, la guerre est une tendance naturelle survivant au besoin de se battre, pouvant mobiliser une nation entière et la rendre sauvage. Demain, des armes terriblement efficaces pourraient annihiler le genre humain. (37)

total : 215 mots

Sujet de rédaction

Travail de compréhension de l'énoncé. La guerre est-elle naturelle ? « naturelle », en quel sens ? Un terme hautement polysémique... il faut donc faire très attention.

Idée d'un état originaire, d'un instinct guerrier, non d'une simple possibilité, mais d'une nécessité. La guerre est naturelle, en trois sens :
  • correspondant à la nature humaine (attention à cette notion), l'être humain serait fait pour la guerre... attention au piège du finalisme, une illusion sans aucun doute. Nécessité de faire attention à ses affirmations, parler soit de tendance soit de disposition
  • étant un phénomène normal ; la normalité étant elle même le rapport à diverses normes, purement statistiques ou bien qualitatives. On passe de l'universalité géographique et historique à la nécessité pour. Nécessité morale pour obtenir quelque chose, la réalisation d'une civilisation, permettant aux individus de poursuivre une série de buts utiles, pas seulement celui de la destruction. La guerre comme ruse de la nature... rien de plus efficace par exemple pour pousser les pouvoirs politiques à doter un territoire de voies de communications...
  • devant être célébrée comme bonne, satisfaisante à tout point de vue. Elle opère un tri, du fort et du faible ; elle pousse les personnes (pas les individus) à donner le meilleur d'eux-mêmes. Elle est une vertu.
Deux grands axes de réflexion se dégagent.

A/ Monstruosité ? La guerre inhumaine ? Ne correspondant pas à la nature humaine mais à sa perversion, sa déformation idéologique, culturelle.
B/ Nécessité ? La guerre obligée, fatale, décrétée par les dieux ? Nécessité de l''hostilité, de la cruauté, la férocité ou nécessité de l'adversité, de la prudence armée, du courage.

Rédaction

Même escortée d'un puissant argument, à savoir l'insécurité foncière de toute propriété, y compris la première d'entre elle, la propriété d'être en vie, l'affirmation suivant laquelle « la guerre est naturelle » ne ressemble guère à un constat. Elle semble remplir un rôle d'excuse fournie a priori ou une fonction rhétorique, celle de justifier les guerres, aussi bien celles de demain que celles d'hier. Ainsi elle serait une opinion partiale, voire fondamentalement douteuse puisque liée à un type de discours de nature idéologique, celui du parti de la guerre, du nationalisme voire de l'impérialisme. Dans Les Deux Sources de la morale et de la religion (1932) Bergson est-il prisonnier d'une idéologie ou bien fait-il preuve de sagesse en remarquant le goût des hommes pour la guerre ? La lecture des trois œuvres du programme peut nous aider à y voir plus clair, à condition de reprendre la question à la base : en quel sens peut-on dire que la guerre est naturelle ? Le terme de « nature » étant polysémique il convient de préciser son usage et d'user d'esprit critique. Partant de l'idée apparemment très forte, presque indéniable, que l'être humain fait la guerre car il est fait pour la guerre, nous remettrons en cause la notion d'instinct guerrier. Participant de l'idée de pente naturelle ou de mécanisme aveugle, cette notion est sans doute moins évidente qu'elle en a l'air.

Démontrer que la guerre est naturelle passerait, ainsi que nous le montre Bergson, par l'affirmation de la nature prométhéenne de l'être humain. L'homme ferait la guerre depuis toujours ou serait en état de guerre depuis l'origine des temps parce qu'il est doté d'intelligence fabricatrice mais aussi extrêmement vulnérable. Créateur d'outils, donc d'armes, il est en effet potentiellement victime de ses semblables également outillés et armés... ou bien potentiellement agresseurs.
Le mythe de Prométhée et Epiméthée rapporté par Platon dans le Protagoras nous permet de préciser le caractère naturel de la guerre. Suite à l'imprévoyance d'Epiméthée, l'être humain est un animal démuni, dépourvu de moyens de défense comme d'attaque. Et grâce à Prométhée lui donnant le feu ainsi que l'intelligence fabricatrice, technè, il peut néanmoins parvenir à combler cette vulnérabilité critique. Il acquiert le langage, construit des habitations, produit des habits, sème et récolte, etc. Or le mythe souligne toujours la fragilité de l'humain en rapportant qu'il aurait alors fallu que Zeus intervienne pour donner en complément l'art politique, dont l'art de la guerre est une composante, afin de lui permettre de pouvoir vivre dans des cités et survivre aux meutes des bêtes féroces ! Plus précisément Protagoras affirme que les hommes ont universellement reçu deux vertus, la pudeur et la justice, sans lesquelles l'art politique n'est pas même envisageable.
L'idée que ce serait comme composante de l'art politique reçu des dieux que l'art de guerre serait universellement répandu parmi les hommes se retrouve dans le premier livre de De la guerre de Clausewitz. Le caractère nécessaire de la guerre n'y est jamais mis en doute, de même que son universalité. Dans l'abstrait, il est naturel que « pour affronter la violence, la violence s'arme des inventions des arts et des sciences » (chapitre 1, 2). Et concrètement la violence physique est le moyen universel pour défendre une cité moderne, un territoire et son peuple considéré comme souverain. Il est naturel de développer ses crocs et de chercher à ôter les griffes de l'ennemi. Deux choses sont donc universelles « le sentiment hostile » et « l'intention hostile » (chapitre 1,3). Sentiment hostile : celui qui découvre devant lui un agresseur peut être pris de rage, de furie ; intention hostile : celui qui se bat est animé par un but, parfois guère réfléchi mais toujours conscient, comme mettre à terre son ennemi, le désarmer ou le tuer. Pour Homo faber, à l'échelle de l'individu, « même l'emportement de haine le plus sauvage, le plus proche de l'instinct, n'est pas concevable sans intention hostile ». Et à l'échelle de la cité, « même les peuples les plus civilisés peuvent se déchaîner l'un contre l'autre, enflammés par la haine », le sentiment hostile demeurant à l'état latent.
Les deux œuvres littéraires du programme permettent de préciser ce diagnostic initial. Avec sa triple distribution, le mythe platonicien n'affirme pas que la guerre est innée mais tend à asseoir l'idée que l'homme doit savoir faire la guerre pour être en paix, pour vivre et vivre bien. Il fait en effet de la guerre une nécessité conditionnelle (se battre pour défendre ses propriétés) ou même une déplaisante fatalité puisque, de proie universelle, l'être humain détenteur du feu, de l'acier et de puissantes armes, serait devenu une sorte de super-prédateur ! Ironie du sort : à partir du moment où il peut vaincre les bêtes féroces, il est lui-même comme une bête féroce contre laquelle il est nécessaire de se protéger par tous les moyens ! L'art de la guerre serait donc à la fois le remède et le poison ! Dans Les Perses d'Eschyle, c'est le remède qui sauve les Grecs des assauts des barbares et c'est un poison pour les Perses en tant qu'ils sont victimes de leur soif de conquête, étant conduits au massacre à la suite de leurs grands rois enivrés de puissance et d'orgueil, Darios et Xerxès. Le titre même choisi par Barbusse, Le Feu, est un clin d'oeil à la dimension prométhéenne de l'existence humaine, non quand le mythe explique l'origine des nations mais la perversion de la culture, le feu dérobée aux dieux ne servant plus qu'une œuvre folle de destruction, l'absurdité de la guerre moderne qui oppose des forces de frappe, des économies de guerre.

L'état de guerre est donc universel, l'agressivité à l'égard d'ennemis virtuels étant une sorte d'instinct. Faut-il pour autant supposer l'existence d'un instinct guerrier comme le fait Bergson ? D'une part, le terme d'instinct est assez vague et sujet à caution. D'autre part, penser une sorte de tendance naturelle irrépressible est sans doute exagéré. L'instinct guerrier est-il une réalité biologique ou bien une façon de parler, en elle-même risquée, qui évoque la puissance des idéologies nationalistes au sein des Etats modernes, bref le fondement culturel des guerres ?
Commençons par remarquer la possible confusion liée à l'usage du terme d'instinct dans une expression comme « l'instinct guerrier ». Avec les travaux de Pavlov, de Lorentz et des anthropologues contemporains, la langue scientifique a banni l'usage du terme lui préférant le réflexe, décliné en réflexe primaire et secondaire, appréhendé de manière dynamique à l'aide des notions liées de renforcement et d'inhibition. En période de fraie, le poisson-combattant mâle se livre à des comportements de lutte contre les autres mâles. Il s'agit d'un réflexe primaire, reproductif. Dans une cours de récréation l'instituteur observe peut-être que « les petits garçons aiment à se battre ». L'introspection le pousse peut-être à dire qu'il y a un plaisir à donner des coups. Mais cela ne suffit pas pour conclure à l'existence d'un instinct guerrier ! Il est clair qu'un tel instinct n'est qu'une des facettes de la virilité comprise non comme fait ou donné naturel mais comme construction sociale. Certes, dans une crèche les garçons dédaignent en général les poupées et préfèrent très tôt jouer avec des armes. Cela veut dire que le conditionnement opéré par la société ne crée pas le rôle de la virilité à partir de rien, mais cela ne signifie pas qu'il y ait de manière innée chez tous les garçons une envie de se battre. Bergson adopte un point de vue superficiel en supposant l'existence de cet instinct.
De la guerre fait partie avec quantité d'autres des œuvres pouvant être critiquées pour leur point de vue étroitement phallocrate. Il est indéniable que lorsque Clausewitz évoque le génie martial il pense exclusivement au combattant et au général, oubliant la moitié du genre humain, comme si les combattantes, les Amazones, Jeanne Hachette ou Jeanne d'Arc, n'étaient qu'un récit légendaire ou une anecdote dépourvue de valeur. La guerre serait naturelle pour les hommes, mais pas pour les femmes, tant chez les peuples sauvages que pour les nations de plus haute culture ! Mais, même limité au genre masculin, l'instinct guerrier ne va pas de soi dans la pensée de Clausewitz. Remarquons ainsi l'hésitation qui le prend lorsqu'il doit évoquer la capacité à endurer la douleur : « la guerre est le domaine des efforts et des souffrances physiques. Pour ne pas y succomber il faut une certaine force du corps et de l'âme qui, innée ou acquise, permet d'y être indifférent » (chapitre 3). Si cette résistance à la douleur mais aussi la hardiesse et le courage sont également des vertus inégalement répandues dans l'espèce humaine, de sorte que bien rares sont les âmes fortes, il résulte que l'instinct guerrier est une sorte de vue de l'esprit, le produit d'une éducation, d'un aguerrissement, et non pas du tout d'une transmission héréditaire.
La définition de la guerre comme « étonnante trinité » (chapitre 1, 28) renforce nos soupçons. En effet, la première des composantes évoquées est la « violence originelle » se rapportant au peuple ou « la haine et l'hostilité qu'il faut considérer comme un instinct naturel et aveugle ». Mais la troisième, qui se rapporte au gouvernement, est l'entendement pur ! Ainsi ceux qui font la guerre doivent être exaltés, mais ceux qui la décident doivent envisager les fins politiques d'une manière entièrement dépassionnée. La guerre oscille donc entre ce qui est purement naturel et ce qui est purement culturel. En fait, elle n'apparaît naturelle et spontanée que si elle l'on observe les hommes comme on observe des fourmis se faisant la guerre sans tenir compte de l'ordre politique !
Poursuivons donc notre réflexion en mettant en cause une prétendue tendance naturelle à se battre. Avec elle, risque de tomber l'opposition faite par Bergson entre des guerres accidentelles et des guerres essentielles. Sans elle, l'explication du carnage de la première guerre mondiale comme exutoire pour des forces pulsionnelles primitives ou un instinct de mort n'est plus si convaincante. Mais l'invocation de telles passions aveugles n'est peut-être qu'une manière de déguiser l'ignorance des causes réelles qui déterminent un tel cataclysme dans l'ordre de la civilisation ! La sauvagerie des combattants dans les tranchées ressemblerait à la sauvagerie des hordes guerrières des peuples primitifs non en raison d'une essence partagée mais d'une communauté de destin : écrasés sous des pluies d'obus, tétanisés par les ravages des mitrailleuses, pris au piège par les barbelés les poilus de Barbusse perdent tout vernis de civilisation, deviennent des brutes, ne peuvent plus penser autrement qu'à très court terme. Que vaut une escouade avant de monter au front ? C'est, apprend-on au chapitre 14, au mieux une troupe fiévreuse, au pire de la « viande soûle » ! Qu'est-ce qu'une escouade sur le point de devoir montée à l'assaut ? Des individus exténués, déboussolés, s'efforçant vainement d'oublier le lendemain « Toujours est-il que, malgré les signes précurseurs,et la voix des prophéties qui semblent se réaliser, on tombe machinalement et on se cantonne dans les préoccupations immédiates : la faim, la soif, les poux dont l'écrasement ensanglante tous les ongles, et la grande fatigue par laquelle nous sommes tous minés », chapitre 20. L'abrutissement ne fait pas l'ombre d'un doute contrairement à l'exaltation du guerrier, même aux premiers jours de la guerre !
Dans Les Perses un terme permet d'évoquer l'instinct guerrier comme ce qui alimente l'agressivité. Ce terme, interprété comme une façon de désigner commodément ce qui échappe pour l'essentiel à la compréhension, renvoie plutôt à l'idée d'un réflexe conditionné, entretenu par des renforcements, qu'à l'idée d'un réflexe primaire, inconditionné. Il s'agit du mot « daïmon » voulant dire génie ou esprit, assez intraduisible en fait. On le trouve par exemple dans la lamentation du choeur, strophe 4 : « Hou la la la, daïmons. Vous avez fait tomber sur nous, à l'imprévu, un mal fulgurant comme le regard d'Até ». Là il s'agirait de puissances externes capables d'aveugler une armée entière, d'entretenir son erreur puis d'appeler sur elle une malédiction. En langage moderne on parlerait d'une sorte d'endoctrinement ayant conduit l'armée à sa perte dans la plus grande insouciance. L'armée des Perses comme son Roi aurait ainsi été conditionnés à attaquer. Mais un peu avant le fantôme de Darios, autre daïmon, expliquait la déroute des Perses par la folie de Xerxès : « Ha ! Un puissant daïmon [a saisi son esprit] pour aveugler ainsi son jugement ! » (v. 725) et il précisait encore, parlant d'une démence dont il faudrait se délivrer : « Zeus, punisseur, tient des comptes sévères : il s'abat sur les pensées par trop orgueilleuses ». Maintenant des vices ou puissances internes seraient responsables du désastre. Le désir de guerre aurait été porté à son paroxysme dans l'esprit malade de Xerxès, pâtissant à la fois d'un manque de prudence et d'une aveugle soif de vengeance. Que les impulsions qui poussent à la guerre soient externes ou internes, elles ne correspondent en rien à un esprit belliqueux inné. Il s'agit au contraire du résultat d'un manque de vertu, de justice ou de pudeur, entretenu d'une part par les courtisans, d'autre part par l'illusion du pouvoir absolu et trop tardivement découvert par Atossa ou Xerxès lui-même.

La guerre n'est en rien une tendance naturelle. Les humains ne sont pas programmés pour se faire la guerre, même s'ils ont de la testostérone dans le sang ! Le comportement guerrier doit être plutôt abordé comme une disposition, étant immédiatement précisé qu'il existe également une disposition pacifique en l'homme. La puissance du désir se trouve en effet exacerbée par l'existence du désir d'autrui, d'où une possible montée aux extrêmes, mais aussi contrebalancée dans la conscience de chacun par des émotions primitives comme la peur, la pitié, le besoin de reconnaissance, la volonté de construire. Dire de la guerre qu'elle correspond à une disposition fondamentale de l'être humain comporte l'intérêt de faire disparaître la fatalité du cours de l'histoire humaine. Il est reconnu que la guerre est universelle ; c'est une constante de l'histoire, qui aura cours tant que l'homme n'aura pas su inventer les conditions effectives d'une paix durable.