Proposition de résumé
Homo
faber peut dominer la nature avec ses outils. Or ses créations,
de même que l'ensemble de sa production, peuvent lui être dérobées.
Et le parasitisme peut se doubler du vol de territoires ou même du
rapt d'humains. Il faut donc toujours se défendre : la guerre
surgit immédiatement du besoin de protéger toutes ses propriétés.
(57)
Se battre
est instinctif. C'est une nécessité mais aussi universellement un
honneur. Ainsi, les jeux violents des gamins comme les duels des
adultes rejoignent les guerres entre États
en manifestant le désir d'éprouver ses forces contre un adversaire.
Ces joutes arbitraires sont une formidable occasion de tester son
courage. Ce sont des répétitions ! Même si la souffrance
dégrise, la prise de risque agit comme une drogue d'oubli sur le
guerrier.
De plus, il
existe des haines viscérales. De puissants préjugés contre les
autres peuples, surtout ses voisins pour peu qu'on souligne leurs
différences, tendent à faire systématiquement de l'étranger un
ennemi, non pas un être avec qui échanger. La paix reste utopique
sans ouverture culturelle à l'autre ! (121)
Comme
l'histoire récente le montre, la guerre est une tendance naturelle
survivant au besoin de se battre, pouvant mobiliser une nation
entière et la rendre sauvage. Demain, des armes terriblement
efficaces pourraient annihiler le genre humain. (37)
total : 215 mots
Sujet de rédaction
Travail de
compréhension de l'énoncé. La guerre est-elle naturelle ?
« naturelle », en quel sens ? Un terme hautement
polysémique... il faut donc faire très attention.
Idée d'un
état originaire, d'un instinct guerrier, non d'une simple
possibilité, mais d'une nécessité. La guerre est naturelle, en
trois sens :
- correspondant à la nature humaine (attention à cette notion), l'être humain serait fait pour la guerre... attention au piège du finalisme, une illusion sans aucun doute. Nécessité de faire attention à ses affirmations, parler soit de tendance soit de disposition
- étant un phénomène normal ; la normalité étant elle même le rapport à diverses normes, purement statistiques ou bien qualitatives. On passe de l'universalité géographique et historique à la nécessité pour. Nécessité morale pour obtenir quelque chose, la réalisation d'une civilisation, permettant aux individus de poursuivre une série de buts utiles, pas seulement celui de la destruction. La guerre comme ruse de la nature... rien de plus efficace par exemple pour pousser les pouvoirs politiques à doter un territoire de voies de communications...
- devant être célébrée comme bonne, satisfaisante à tout point de vue. Elle opère un tri, du fort et du faible ; elle pousse les personnes (pas les individus) à donner le meilleur d'eux-mêmes. Elle est une vertu.
Deux grands
axes de réflexion se dégagent.
A/ Monstruosité ?
La guerre inhumaine ? Ne correspondant pas à la nature humaine
mais à sa perversion, sa déformation idéologique, culturelle.
B/ Nécessité ?
La guerre obligée, fatale, décrétée par les dieux ?
Nécessité de l''hostilité, de la cruauté, la férocité ou
nécessité de l'adversité, de la prudence armée, du courage.
Rédaction
Même
escortée d'un puissant argument, à savoir l'insécurité foncière
de toute propriété, y compris la première d'entre elle, la
propriété d'être en vie, l'affirmation suivant laquelle « la
guerre est naturelle » ne ressemble guère à un constat.
Elle semble remplir un rôle d'excuse fournie a priori ou une
fonction rhétorique, celle de justifier les guerres, aussi bien
celles de demain que celles d'hier. Ainsi elle serait une opinion
partiale, voire fondamentalement douteuse puisque liée à un type de
discours de nature idéologique, celui du parti de la guerre, du
nationalisme voire de l'impérialisme. Dans Les Deux Sources de la
morale et de la religion (1932) Bergson est-il prisonnier d'une
idéologie ou bien fait-il preuve de sagesse en remarquant le goût
des hommes pour la guerre ? La lecture des trois œuvres du
programme peut nous aider à y voir plus clair, à condition de
reprendre la question à la base : en quel sens peut-on dire que
la guerre est naturelle ? Le terme de « nature »
étant polysémique il convient de préciser son usage et d'user
d'esprit critique. Partant de l'idée apparemment très forte,
presque indéniable, que l'être humain fait la guerre car il est
fait pour la guerre, nous remettrons en cause la notion d'instinct
guerrier. Participant de l'idée de pente naturelle ou de mécanisme
aveugle, cette notion est sans doute moins évidente qu'elle en a
l'air.
Démontrer
que la guerre est naturelle passerait, ainsi que nous le montre
Bergson, par l'affirmation de la nature prométhéenne de l'être
humain. L'homme ferait la guerre depuis toujours ou serait en état
de guerre depuis l'origine des temps parce qu'il est doté
d'intelligence fabricatrice mais aussi extrêmement vulnérable.
Créateur d'outils, donc d'armes, il est en effet potentiellement
victime de ses semblables également outillés et armés... ou bien
potentiellement agresseurs.
Le mythe de
Prométhée et Epiméthée rapporté par Platon dans le Protagoras
nous permet de préciser le caractère naturel de la guerre. Suite à
l'imprévoyance d'Epiméthée, l'être humain est un animal démuni,
dépourvu de moyens de défense comme d'attaque. Et grâce à
Prométhée lui donnant le feu ainsi que l'intelligence fabricatrice,
technè, il peut néanmoins parvenir à combler cette
vulnérabilité critique. Il acquiert le langage, construit des
habitations, produit des habits, sème et récolte, etc. Or le mythe
souligne toujours la fragilité de l'humain en rapportant qu'il
aurait alors fallu que Zeus intervienne pour donner en complément
l'art politique, dont l'art de la guerre est une composante, afin de
lui permettre de pouvoir vivre dans des cités et survivre aux meutes
des bêtes féroces ! Plus précisément Protagoras affirme que les
hommes ont universellement reçu deux vertus, la pudeur et la
justice, sans lesquelles l'art politique n'est pas même
envisageable.
L'idée que
ce serait comme composante de l'art politique reçu des dieux que
l'art de guerre serait universellement répandu parmi les hommes se
retrouve dans le premier livre de De
la guerre de Clausewitz. Le caractère nécessaire de la
guerre n'y est jamais mis en doute, de même que son universalité.
Dans l'abstrait, il est naturel que « pour affronter la
violence, la violence s'arme des inventions des arts et des
sciences » (chapitre 1, 2). Et concrètement la violence
physique est le moyen universel pour défendre une cité moderne, un
territoire et son peuple considéré comme souverain. Il est naturel
de développer ses crocs et de chercher à ôter les griffes de
l'ennemi. Deux choses sont donc universelles « le sentiment
hostile » et « l'intention hostile »
(chapitre 1,3). Sentiment hostile : celui qui découvre devant
lui un agresseur peut être pris de rage, de furie ; intention
hostile : celui qui se bat est animé par un but, parfois guère
réfléchi mais toujours conscient, comme mettre à terre son ennemi,
le désarmer ou le tuer. Pour Homo faber, à l'échelle de
l'individu, « même l'emportement de haine le plus sauvage,
le plus proche de l'instinct, n'est pas concevable sans intention
hostile ». Et à l'échelle de la cité, « même
les peuples les plus civilisés peuvent se déchaîner l'un contre
l'autre, enflammés par la haine », le sentiment hostile
demeurant à l'état latent.
Les deux
œuvres littéraires du programme permettent de préciser ce
diagnostic initial. Avec sa triple distribution, le mythe platonicien
n'affirme pas que la guerre est innée mais tend à asseoir l'idée
que l'homme doit savoir faire la guerre pour être en paix, pour
vivre et vivre bien. Il fait en effet de la guerre une nécessité
conditionnelle (se battre pour défendre ses propriétés) ou même
une déplaisante fatalité puisque, de proie universelle, l'être
humain détenteur du feu, de l'acier et de puissantes armes, serait
devenu une sorte de super-prédateur ! Ironie du sort : à
partir du moment où il peut vaincre les bêtes féroces, il est
lui-même comme une bête féroce contre laquelle il est nécessaire
de se protéger par tous les moyens ! L'art de la guerre serait
donc à la fois le remède et le poison ! Dans Les Perses
d'Eschyle, c'est le remède qui sauve les Grecs des assauts des
barbares et c'est un poison pour les Perses en tant qu'ils sont
victimes de leur soif de conquête, étant conduits au massacre à la
suite de leurs grands rois enivrés de puissance et d'orgueil, Darios
et Xerxès. Le titre même choisi par Barbusse, Le Feu, est un
clin d'oeil à la dimension prométhéenne de l'existence humaine,
non quand le mythe explique l'origine des nations mais la perversion
de la culture, le feu dérobée aux dieux ne servant plus qu'une
œuvre folle de destruction, l'absurdité de la guerre moderne qui
oppose des forces de frappe, des économies de guerre.
L'état de
guerre est donc universel, l'agressivité à l'égard d'ennemis
virtuels étant une sorte d'instinct. Faut-il pour autant supposer
l'existence d'un instinct guerrier comme le fait Bergson ? D'une
part, le terme d'instinct est assez vague et sujet à caution.
D'autre part, penser une sorte de tendance naturelle irrépressible
est sans doute exagéré. L'instinct guerrier est-il une réalité
biologique ou bien une façon de parler, en elle-même risquée, qui
évoque la puissance des idéologies nationalistes au sein des Etats
modernes, bref le fondement culturel des guerres ?
Commençons
par remarquer la possible confusion liée à l'usage du terme
d'instinct dans une expression comme « l'instinct
guerrier ». Avec les travaux de Pavlov, de Lorentz et des
anthropologues contemporains, la langue scientifique a banni l'usage
du terme lui préférant le réflexe, décliné en réflexe primaire
et secondaire, appréhendé de manière dynamique à l'aide des
notions liées de renforcement et d'inhibition. En période de fraie,
le poisson-combattant mâle se livre à des comportements de lutte
contre les autres mâles. Il s'agit d'un réflexe primaire,
reproductif. Dans une cours de récréation l'instituteur observe
peut-être que « les petits garçons aiment à se battre ».
L'introspection le pousse peut-être à dire qu'il y a un plaisir à
donner des coups. Mais cela ne suffit pas pour conclure à
l'existence d'un instinct guerrier ! Il est clair qu'un tel
instinct n'est qu'une des facettes de la virilité comprise non comme
fait ou donné naturel mais comme construction sociale. Certes, dans
une crèche les garçons dédaignent en général les poupées et
préfèrent très tôt jouer avec des armes. Cela veut dire que le
conditionnement opéré par la société ne crée pas le rôle de la
virilité à partir de rien, mais cela ne signifie pas qu'il y ait de
manière innée chez tous les garçons une envie de se battre.
Bergson adopte un point de vue superficiel en supposant l'existence
de cet instinct.
De la
guerre fait partie avec quantité d'autres des œuvres pouvant
être critiquées pour leur point de vue étroitement phallocrate. Il
est indéniable que lorsque Clausewitz évoque le génie martial il
pense exclusivement au combattant et au général, oubliant la moitié
du genre humain, comme si les combattantes, les Amazones, Jeanne
Hachette ou Jeanne d'Arc, n'étaient qu'un récit légendaire ou une
anecdote dépourvue de valeur. La guerre serait naturelle pour les
hommes, mais pas pour les femmes, tant chez les peuples sauvages que
pour les nations de plus haute culture ! Mais, même limité au
genre masculin, l'instinct guerrier ne va pas de soi dans la pensée
de Clausewitz. Remarquons ainsi l'hésitation qui le prend lorsqu'il
doit évoquer la capacité à endurer la douleur : « la
guerre est le domaine des efforts et des souffrances physiques. Pour
ne pas y succomber il faut une certaine force du corps et de l'âme
qui, innée ou acquise, permet d'y être indifférent »
(chapitre 3). Si cette résistance à la douleur mais aussi la
hardiesse et le courage sont également des vertus inégalement
répandues dans l'espèce humaine, de sorte que bien rares sont les
âmes fortes, il résulte que l'instinct guerrier est une sorte de
vue de l'esprit, le produit d'une éducation, d'un aguerrissement, et
non pas du tout d'une transmission héréditaire.
La
définition de la guerre comme « étonnante trinité »
(chapitre 1, 28) renforce nos soupçons. En effet, la première des
composantes évoquées est la « violence originelle »
se rapportant au peuple ou « la haine et l'hostilité qu'il
faut considérer comme un instinct naturel et aveugle ».
Mais la troisième, qui se rapporte au gouvernement, est
l'entendement pur ! Ainsi ceux qui font la guerre doivent être
exaltés, mais ceux qui la décident doivent envisager les fins
politiques d'une manière entièrement dépassionnée. La guerre
oscille donc entre ce qui est purement naturel et ce qui est purement
culturel. En fait, elle n'apparaît naturelle et spontanée que si
elle l'on observe les hommes comme on observe des fourmis se faisant
la guerre sans tenir compte de l'ordre politique !
Poursuivons
donc notre réflexion en mettant en cause une prétendue tendance
naturelle à se battre. Avec elle, risque de tomber l'opposition
faite par Bergson entre des guerres accidentelles et des guerres
essentielles. Sans elle, l'explication du carnage de la première
guerre mondiale comme exutoire pour des forces pulsionnelles
primitives ou un instinct de mort n'est plus si convaincante. Mais
l'invocation de telles passions aveugles n'est peut-être qu'une
manière de déguiser l'ignorance des causes réelles qui déterminent
un tel cataclysme dans l'ordre de la civilisation ! La
sauvagerie des combattants dans les tranchées ressemblerait à la
sauvagerie des hordes guerrières des peuples primitifs non en raison
d'une essence partagée mais d'une communauté de destin :
écrasés sous des pluies d'obus, tétanisés par les ravages des
mitrailleuses, pris au piège par les barbelés les poilus de
Barbusse perdent tout vernis de civilisation, deviennent des brutes,
ne peuvent plus penser autrement qu'à très court terme. Que vaut
une escouade avant de monter au front ? C'est, apprend-on au
chapitre 14, au mieux une troupe fiévreuse, au pire de la « viande
soûle » ! Qu'est-ce qu'une escouade sur le point de
devoir montée à l'assaut ? Des individus exténués,
déboussolés, s'efforçant vainement d'oublier le lendemain
« Toujours est-il que, malgré les signes précurseurs,et la
voix des prophéties qui semblent se réaliser, on tombe
machinalement et on se cantonne dans les préoccupations immédiates :
la faim, la soif, les poux dont l'écrasement ensanglante tous les
ongles, et la grande fatigue par laquelle nous sommes tous minés
», chapitre 20. L'abrutissement ne fait pas l'ombre d'un doute
contrairement à l'exaltation du guerrier, même aux premiers jours
de la guerre !
Dans Les
Perses un terme permet d'évoquer l'instinct guerrier comme ce
qui alimente l'agressivité. Ce terme, interprété comme une façon
de désigner commodément ce qui échappe pour l'essentiel à la
compréhension, renvoie plutôt à l'idée d'un réflexe conditionné,
entretenu par des renforcements, qu'à l'idée d'un réflexe
primaire, inconditionné. Il s'agit du mot « daïmon »
voulant dire génie ou esprit, assez intraduisible en fait. On le
trouve par exemple dans la lamentation du choeur, strophe 4 :
« Hou la la la, daïmons. Vous avez fait tomber sur nous, à
l'imprévu, un mal fulgurant comme le regard d'Até ». Là
il s'agirait de puissances externes capables d'aveugler une armée
entière, d'entretenir son erreur puis d'appeler sur elle une
malédiction. En langage moderne on parlerait d'une sorte
d'endoctrinement ayant conduit l'armée à sa perte dans la plus
grande insouciance. L'armée des Perses comme son Roi aurait ainsi
été conditionnés à attaquer. Mais un peu avant le fantôme de
Darios, autre daïmon, expliquait la déroute des Perses par
la folie de Xerxès : « Ha ! Un puissant daïmon
[a saisi son esprit] pour aveugler ainsi son jugement ! »
(v. 725) et il précisait encore, parlant d'une démence dont il
faudrait se délivrer : « Zeus, punisseur, tient des
comptes sévères : il s'abat sur les pensées par trop
orgueilleuses ». Maintenant des vices ou puissances
internes seraient responsables du désastre. Le désir de guerre
aurait été porté à son paroxysme dans l'esprit malade de Xerxès,
pâtissant à la fois d'un manque de prudence et d'une aveugle soif
de vengeance. Que les impulsions qui poussent à la guerre soient
externes ou internes, elles ne correspondent en rien à un esprit
belliqueux inné. Il s'agit au contraire du résultat d'un manque de
vertu, de justice ou de pudeur, entretenu d'une part par les
courtisans, d'autre part par l'illusion du pouvoir absolu et trop
tardivement découvert par Atossa ou Xerxès lui-même.
La guerre
n'est en rien une tendance naturelle. Les humains ne sont pas
programmés pour se faire la guerre, même s'ils ont de la
testostérone dans le sang ! Le comportement guerrier doit être
plutôt abordé comme une disposition, étant immédiatement précisé
qu'il existe également une disposition pacifique en l'homme. La
puissance du désir se trouve en effet exacerbée par l'existence du
désir d'autrui, d'où une possible montée aux extrêmes, mais aussi
contrebalancée dans la conscience de chacun par des émotions
primitives comme la peur, la pitié, le besoin de reconnaissance, la
volonté de construire. Dire de la guerre qu'elle correspond à une
disposition fondamentale de l'être humain comporte l'intérêt de
faire disparaître la fatalité du cours de l'histoire humaine. Il
est reconnu que la guerre est universelle ; c'est une constante
de l'histoire, qui aura cours tant que l'homme n'aura pas su inventer
les conditions effectives d'une paix durable.
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