Un cours en ligne

Le contenu de ce blog est périssable.
Il s'agit de notes de cours, ou plutôt de schémas de cours, qui me servent pour traiter le programme de Lettres-philosophie devant mes classes de CPGE scientifiques, de première et de seconde année. Chaque année un nouveau thème, deux nouvelles oeuvres littéraires et une oeuvre philosophique.
J'en assume l'entière responsabilité, y compris lorsque s'y mêlent des jugements personnels sur des oeuvres et des auteurs, des conseils de lecture peu orthodoxes ou des pointes d'ironie. Le mot d'ordre que je m'efforce de suivre, lié à la lecture de Harry G. Frankfurt, est de ne pas mentir quand il est possible de baratiner, de ne pas baratiner quand ce n'est pas absolument nécessaire.

mardi 23 septembre 2014

Devoir surveillé, "La guerre est naturelle" Bergson


Devoir surveillé de rentrée (4 heures)

Partie I. Résumé de texte

Résumerez en 200 mots le texte suivant. Un écart de 10 % en plus ou en moins sera toléré. Vous indiquerez avec précision, en marge de chaque ligne, le nombre de mots qu’elle comporte et, à la fin du résumé, le total.
La nature a-t-elle voulu la guerre ? Répétons, une fois de plus, que la nature n’a rien voulu, si l’on entend par volonté une faculté de prendre des décisions particulières. Mais elle ne peut poser une espèce animale sans dessiner implicitement les attitudes et mouvements qui résultent de sa structure et qui en sont les prolongements. C’est en ce sens qu’elle les a voulus. Elle a doté l’homme d’une intelligence fabricatrice. Au lieu de lui fournir des instruments, comme elle l’a fait pour bon nombre d’espèces animales, elle a préféré qu’il les construisît lui-même. Or l’homme a nécessairement la propriété de ses instruments, au moins pendant qu’il s’en sert. Mais puisqu’ils sont détachés de lui, ils peuvent lui être pris ; les prendre tout faits est plus facile que de les faire. Surtout, ils doivent agir sur une matière, servir d’armes de chasse ou de pêche, par exemple ; le groupe dont il est membre aura jeté son dévolu sur une forêt, un lac, une rivière ; et cette place, à son tour, un autre groupe pourra juger plus commode de s’y installer que de chercher ailleurs. Dès lors, il faudra se battre. Nous parlons d’une forêt où l’on chasse, d’un lac où l’on pêche : il pourra aussi bien être question de terres à cultiver, de femmes à enlever, d’esclaves à emmener. Comme aussi c’est par des raisons variées qu’on justifiera ce qu’on aura fait. Mais peu importent la chose que l’on prend et le motif qu’on se donne : l’origine de la guerre est la propriété, individuelle ou collective, et comme l’humanité est prédestinée à la propriété par sa structure, la guerre est naturelle. L’instinct guerrier est si fort qu’il est le premier à apparaître quand on gratte la civilisation pour retrouver la nature. On sait combien les petits garçons aiment à se battre. Ils recevront des coups. Mais ils auront eu la satisfaction d’en donner. On a dit avec raison que les jeux de l’enfant étaient les exercices préparatoires auxquels la nature le convie en vue de la besogne qui incombe à l’homme fait. Mais on peut aller plus loin, et voir des exercices préparatoires ou des jeux dans la plupart des guerres enregistrées par l’histoire. Quand on considère la futilité des motifs qui provoquèrent bon nombre d’entre elles, on pense aux duellistes de Marion Delorme qui s’entre-tuaient « pour rien, pour le plaisir », ou bien encore à l’Irlandais cité par Lord Bryce, qui ne pouvait voir deux hommes échanger des coups de poing dans la rue sans poser la question : « Ceci est-il une affaire privée, ou peut-on se mettre de la partie ? » En revanche, si l’on place à côté des querelles accidentelles les guerres décisives, qui aboutirent à l’anéantissement d’un peuple, on comprend que celles-ci furent la raison d’être de celles-là : il fallait un instinct de guerre, et parce qu’il existait en vue de guerres féroces qu’on pourrait appeler naturelles, une foule de guerres accidentelles ont eu lieu, simplement pour empêcher l’arme de se rouiller. — Qu’on songe maintenant à l’exaltation des peuples au commencement d’une guerre ! Il y a là sans doute une réaction défensive contre la peur, une stimulation automatique des courages. Mais il y a aussi le sentiment qu’on était fait pour une vie de risque et d’aventure, comme si la paix n’était qu’une halte entre deux guerres. L’exaltation tombe bientôt, car la souffrance est grande. Mais si on laisse de côté la dernière guerre, dont l’horreur a dépassé tout ce qu’on croyait possible, il est curieux de voir comme les souffrances de la guerre s’oublient vite pendant la paix. On prétend qu’il existe chez la femme des mécanismes spéciaux d’oubli pour les douleurs de l’accouchement : un souvenir trop complet l’empêcherait de vouloir recommencer. Quelque mécanisme de ce genre semble vraiment fonctionner pour les horreurs de la guerre, surtout chez les peuples jeunes. — La nature a pris de ce côté d’autres précautions encore. Elle a interposé entre les étrangers et nous un voile habilement tissé d’ignorances, de préventions et de préjugés. Qu’on ne connaisse pas un pays où l’on n’est jamais allé, cela n’a rien d’étonnant. Mais que, ne le connaissant pas, on le juge, et presque toujours défavorablement, il y a là un fait qui réclame une explication. Quiconque a séjourné hors de son pays, et voulu ensuite initier ses compatriotes à ce que nous appelons une « mentalité » étrangère, a pu constater chez eux une résistance instinctive. La résistance n’est pas plus forte s’il s’agit d’un pays plus lointain. Bien au contraire, elle varierait plutôt en raison inverse de la distance. Ceux qu’on a le plus de chances de rencontrer sont ceux qu’on veut le moins connaître. La nature ne s’y fût pas prise autrement pour faire de tout étranger un ennemi virtuel, car si une parfaite connaissance réciproque n’est pas nécessairement sympathie, elle exclut du moins la haine. Nous avons pu le constater pendant la dernière guerre. Tel professeur d’allemand était aussi bon patriote que n’importe quel autre Français, aussi prêt à donner sa vie, aussi « monté » même contre l’Allemagne, mais ce n’était pas la même chose. Un coin restait réservé. Celui qui connaît à fond la langue et la littérature d’un peuple ne peut pas être tout à fait son ennemi. On devrait y penser quand on demande à l’éducation de préparer une entente entre nations. La maîtrise d’une langue étrangère, en rendant possible une imprégnation de l’esprit par la littérature et la civilisation correspondantes, peut faire tomber d’un seul coup la prévention voulue par la nature contre l’étranger en général. Mais nous n’avons pas à énumérer tous les effets extérieurs visibles de la prévention cachée. Disons seulement que les deux maximes opposées Homo homini deus et Homo homini lupus se concilient aisément. Quand on formule la première, on pense à quelque compatriote. L’autre concerne les étrangers.
Nous venons de dire qu’à côté des guerres accidentelles il en est d’essentielles, pour lesquelles l’instinct guerrier semble avoir été fait. De ce nombre sont les guerres d’aujourd’hui. On cherche de moins en moins à conquérir pour conquérir. On ne se bat plus par amour-propre blessé, pour le prestige, pour la gloire. On se bat pour n’être pas affamé, dit-on, — en réalité pour se maintenir à un certain niveau de vie au-dessous duquel on croit qu’il ne vaudrait plus la peine de vivre. Plus de délégation à un nombre restreint de soldats chargés de représenter la nation. Plus rien qui ressemble à un duel. Il faut que tous se battent contre tous, comme firent les hordes des premiers temps. Seulement on se bat avec les armes forgées par notre civilisation, et les massacres sont d’une horreur que les anciens n’auraient même pas imaginée. Au train dont va la science, le jour approche où l’un des adversaires, possesseur d’un secret qu’il tenait en réserve, aura le moyen de supprimer l’autre. Il ne restera peut-être plus trace du vaincu sur la terre.
Henri Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion (1932)

Partie II. Dissertation

Votre lecture des trois œuvres du programme vous conduit-elle à affirmer avec Bergson que « la guerre est naturelle » ?

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